15.
Vers la montagne de Ramusberget

Harald aux Dents bleues, Ourm le Serpent rouge et Wasaly de la Terre verte avaient convenu d’un plan. Les trois rois vikings regrouperaient leurs forces pour attaquer et détruire les merriens et les gobelins. Ourm le Serpent rouge avait une puissante flotte de drakkars et fut chargé d’écumer la grande mer et d’éliminer les merriens. Wasaly de la Terre verte jura de libérer le Sud des terres vikings et de poursuivre les bonnets-rouges sur le grand continent. La montagne et le dragon furent laissés au roi Harald aux Dents bleues et à ses hommes. Celui-ci avait la plus grande et la plus efficace des armées. Ses combattants étaient sauvages et n’avaient peur de rien. De plus, le royaume produisait de solides armures et d’excellentes épées.

Le roi Harald aux Dents bleues divisa ses troupes en six bataillons et donna le commandement de chacun d’eux à un ou plusieurs béorites. Banry se vit confier deux cents hommes, et Helmic l’Insatiable en reçut trois cents. Les frères Azulson, Goy et Kasso, prirent la charge d’un bataillon d’éclaireurs, composé d’une cinquantaine d’archers pouvant se déplacer rapidement. Rutha Bagason dite la Valkyrie, Alré la Hache et Piotr le Géant se partagèrent près de quatre cents guerriers. Chemil Lapson, l’habile charpentier, demeura dans la ville pour diriger les travaux : de fortification en prévision d’une attaque. Geser la Fouine retourna dormir dans son baril et Hulot Hulson dit la Grande Gueule demeura introuvable lors de la répartition des tâches. On le chercha longtemps dans la ville pour s’apercevoir que le poltron s’était réfugié dans un drakkar avec la ferme intention de fuir vers Upsgran. On lui confia trente-cinq hommes avec la mission très précise d’aller libérer les prisonniers du camp des bonnets-rouges. Amos et Béorf proposèrent leur aide et il fut décidé qu’ils accompagneraient le nouveau commandant Hulot.

Tous les bataillons reçurent des ordres extrêmement précis. Suivant un itinéraire établi d’après le rapport de Geser la Fouine, chaque formation devait remonter vers la montagne de Ramusberget en forçant le retrait des gobelins vers le nord. Comme la neige était déjà très abondante dans les forêts, les guerriers se déplaceraient en skis. Les Vikings et les béorites connaissaient très bien ce mode de locomotion et pouvaient parcourir avec un minimum d’efforts de longues distances. La neige et la glace constituaient pour eux un avantage non négligeable. Il fut également convenu d’un lieu de rendez-vous où tous les bataillons joindraient leurs forces pour effectuer la dernière attaque, celle de la montagne du dragon.

Seule la garde personnelle d’Harald demeura dans la ville. Ces cinquante guerriers avaient pour mission de protéger la cité et le roi en cas d’attaque. Les béorites se souhaitèrent bonne chance. Très dignement, chacun prit la tête de son bataillon et bientôt la ville se vida. Au moment du départ, Hulot s’était encore volatilisé. C’est Amos qui réussit à trouver sa nouvelle cachette. Il s’était réfugié dans la prison du roi et avait lui-même verrouillé la porte à double tour. Le pauvre béorite était mort de peur à l’idée de partir en campagne.

— Hulot ! s’exclama Amos, que fais-tu là ? Il est temps de partir !

— Je ne pars pas… affirma le béorite derrière ses barreaux. Comme c’est moi qui commande mes hommes, je déclare que nous allons rester un peu ici… et… et voir ensuite ce que nous allons faire… Nous ferons cela ou le contraire !

— Qu’est-ce qui se passe, Hulot ? demanda gentiment Amos. Tu as peur de partir ?

— OUI ! avoua l’homme-ours en tombant mollement assis sur la couchette de la cellule. J’ai tellement peur que je me suis enfermé moi-même ! Je suis né sans courage et sans talent pour la guerre. Tout ce que j’aime dans la vie, ce sont mes histoires. J’ai la langue bien pendue, mais je n’ai aucun talent pour conduire des hommes.

— Et quelle est ton histoire préférée ?

— L’histoire de Sigurd ! C’est le plus célèbre des héros que je connaisse. C’est lui qui terrassa, il y a des centaines d’années de cela, le grand dragon du Nord nommé Fafnir. Cette bête de feu avait anciennement été un homme, le fils d’un très grand magicien. Il avait tué son père et avait été changé en dragon à cause de sa cupidité. La présence d’un fabuleux trésor attira dans le repaire de la bête de nombreux héros en quête de célébrité et de richesses. Beaucoup d’entre eux moururent sur les terres qui entouraient son antre, mais le jeune Sigurd, armé de l’épée de son père, réussit à vaincre le monstre. Il se cacha dans un trou sur un chemin qu’empruntait chaque jour le dragon et lui planta son épée dans le ventre.

— Une nouvelle légende s’écrit en ce moment, Hulot, et tu en fais partie, déclara Amos en pesant chacun de ses mots.

— Nous mourrons tous si nous affrontons le dragon ! Je ne veux pas mourir, je veux revoir Upsgran.

— Quelqu’un m’a déjà dit qu’il faut remplacer la peur par la connaissance. Ton histoire vient de me donner une idée… Pour combattre un dragon, il faut voir au-delà de sa force. Rien ne sert de l’attaquer avec une armée, il faut le tuer par son point faible.

— Tu sais comment te débarrasser du dragon ? fit timidement Hulot.

— Oui, je l’aurai par la ruse et je ferai en même temps une bonne action pour Augure De VerBouc !

— Alors… j’ai confiance en toi, je viens ! Concentrons-nous sur notre mission et allons libérer les prisonniers… Va avertir les hommes que nous partons bientôt !

— Sors de là, Hulot, et prenons tout de suite la route ! Nous n’avons pas de temps à perdre !

— C’est que… comment dire ?… euh…, balbutia le béorite. C’est que j’ai avalé la clé de la cellule et qu’il faudra attendre que mes intestins me la rendent !

— Nous attendrons…, répondit Amos, très amusé. Nous attendrons !

*   *

*

Après une demi-journée de ski, le bataillon de Hulot arriva, tel qu’indiqué sur la carte, tout près des installations des bonnets-rouges. Les gobelins avaient investi une petite plaine. De grandes cages en bois, installées au centre du camp, contenaient des dizaines de prisonniers. Ceux-ci attendaient d’être vendus comme esclaves.

De grossiers murs de neige avaient été érigés autour du camp pour protéger les gobelins du vent. Cinq grands feux brûlaient jour et nuit en dégageant une épaisse fumée dans la forêt environnante. Les bonnets-rouges marchaient de long en large, frigorifiés. Ils étaient une centaine à surveiller les lieux.

— As-tu un plan ? demanda Béorf en regardant son ami Amos.

— Fais en sorte que Hulot ne donne aucun ordre pour l’instant. Je vais inspecter les lieux !

Amos se concentra et leva doucement la main. Une petite mésange vint promptement se poser sur son doigt. Le garçon lui dit :

— Prête-moi tes yeux. J’ai le pouvoir du vent et je ne te ferai pas de mal.

La mésange s’envola vers le camp de prisonniers et se posa bien vite sur une des cages. Par les yeux de l’oiseau, Amos vit le désespoir dans le regard des captifs. Les prisonniers étaient majoritairement des femmes et des enfants, mais il y avait aussi plusieurs hommes dans la force de l’âge. Pelotonnés les uns contre les autres, ils grelottaient tous à gros frissons. Les détenus semblaient presque tous très malades ou très faibles. Des couvertures sales et trouées recouvraient les enfants. Ils n’avaient pour manger que du poisson cru et un peu de pain.

L’oiseau se déplaça et vit une silhouette familière. Un homme grand et robuste aidait une mère en pleurs à recouvrir son enfant malade d’une nouvelle couverture. La mésange se posa sur un barreau, tout près de la scène. Amos reconnut immédiatement Junos, seigneur de Berrion. Quelle joie ! Peut-être que Frilla, sa mère, était aussi parmi ces prisonniers !

La mésange alla se poser sur l’épaule de Junos. Le chevalier, surpris d’un tel geste de la part d’un oiseau sauvage, lui caressa doucement la tête avec son doigt. L’oiseau s’envola et Amos perdit le contact Le garçon se retourna et vit que Béorf était déjà de retour.

— Junos est parmi les prisonniers ! s’écria-t-il.

— Tu l’as vu ? Et ta mère ?

— Je n’ai pas vu Frilla, mais j’espère bien qu’elle est là, elle aussi. Je vais faire griller ces gobelins pour les punir de…

— Tu te laisses encore emporter, Amos ! lança Béorf pour calmer son ami. Lorsque tes émotions prennent le dessus sur ta raison, tu deviens très dangereux pour tout le monde.

— Tu as raison… mais il faut faire quelque chose !

— Laisse-moi m’occuper de ça… fit Béorf, sûr de lui. J’ai un plan…

— J’ai confiance en toi, Béorf, répondit Amos en serrant le bras de son ami. Je te laisse le préparer !

*   *

*

Béorf et Hulot s’étaient transformés en monstres répugnants. Mi-hommes, mi ours, ils avaient la bouche déformée, un corps à moitié poilu et une tête ressemblant davantage à celle d’un troll qu’à celle d’un humain. Le gros garçon avait bien pris soin de mettre ses oreilles de cristal pour pouvoir parler avec les gobelins. Pour faire croire qu’ils étaient des marchands d’esclaves, les deux béorites traînaient derrière eux une bonne dizaine de prisonniers vikings. Ceux-ci avaient des armes cachées sous leurs vêtements. Amos était parmi eux, tête basse et ligoté comme les autres. Le reste du bataillon attendait dans les bois, prêts à frapper.

Lorsque la petite troupe arriva au campement des bonnets-rouges, un garde arrêta Béorf et lui demanda :

— Toi à qui ? Présenter à toi à moi, sinon à moi tuer à toi !

— À moi être Geurk ! répondit le jeune hommanimal. Esclaves à nous, à père et à moi. À père pas parler, pas langue à lui, coupé à lui par humains !

— À nous pas payer esclaves, à nous prendre dans villages !

— À toi bon prix pour solides hommes… insista Béorf.

— À toi entrer, à moi voir chef à nous, continua le bonnet-rouge en laissant pénétrer tout le monde dans le camp.

À ce moment, Amos sortit discrètement du groupe et alla près de la cage de Junos. Le chevalier le regarda avec des yeux ronds, comme s’il voyait un revenant.

— Amos ! murmura-t-il. Je n’arrive pas à y croire ! Mais que fais-tu ici ?

— Je répondrai à tes questions plus tard si tu veux bien, Junos, dit le garçon en jetant un coup d’œil derrière lui pour s’assurer qu’on ne l’avait pas repéré. Ma mère est-elle là ?

— Non, malheureusement, fit Junos en baissant la tête. Elle a été vendue par ces monstres dans un marché d’esclaves, il y a déjà deux semaines de cela. Je n’ai pas vu ton père Urban… A-t-il réussi à leur échapper ?

— Mon père a été tué lors de l’attaque de Berrion.

— Je suis désolé…, chuchota le chevalier, la gorge serrée par l’émotion. Vraiment… c’était un homme bien… J’espère que sa dispa…

— Je sais…, l’interrompit Amos. Nous en parlerons plus tard, Junos. Prends ces armes et distribue-les aux prisonniers. Au signal de Béorf, nous attaquons !

— Très bien, fais-les passer, je m’occupe de tout. Fais simplement ouvrir les cages et tu vas voir que plusieurs prisonniers ici en ont gros sur le cœur. Même les femmes voudront égorger quelques-unes de ces créatures immondes et cruelles.

Les Vikings firent passer une à une les armes aux détenus. Les gobelins n’y virent que du feu, trop occupés qu’ils étaient à observer les deux étranges créatures qui menaient le groupe. Pendant ce temps, le chef des gobelins arriva devant Béorf. Il était plus gros que les autres et portait fièrement une plume à son bonnet. Il dit d’un air supérieur :

— À QUOI À TOI VOULOIR À MOI ET À NOUS ?

— À moi amener à vous esclaves à nous, pas chers…, répondit poliment le gros garçon sous son allure de monstre.

— Mais… à toi fou ! s’écria le chef. À moi pas acheter, à moi vendre esclaves ! À moi pas intéressé esclaves à toi !

— À moi désolé, grand chef à toi, s’excusa Béorf dont le plan se déroulait à merveille. Parce que à nous déranger à toi, à moi et père à moi donnons à toi esclaves !

— Grand cadeau ! À cause ça, à moi pas tuer à vous ! Seulement, à moi garder à vous aussi comme esclaves à nous !

Tous les gobelins agglutinés derrière leur chef éclatèrent d’un grand rire machiavélique. Béorf fit alors semblant de rire de bon cœur. Le chef demanda alors :

— À toi pas comprendre à moi ! À moi dire à toi que à toi devenir esclaves à nous… À moi prendre esclaves à toi et faire à toi devenir esclave aussi à nous ! À toi pas rire, à toi pleurer !

— À moi rire…, expliqua Béorf, parce qu’à toi trop stupide ! À toi tomber dans piège à moi, grosse bourrique à toi.

Stupéfait, le gobelin bedonnant ne sut que répondre.

— À L’ATTAQUE ! hurla Béorf.

Les Vikings poussèrent un grand cri et sortirent leurs armes. Béorf se transforma en ours et sauta au visage du chef des bonnets-rouges. Hulot se lança à corps perdu dans la bataille. Dans le feu de l’action, il avait enfin oublié sa peur. Les portes des cages volèrent rapidement en éclats, libérant les prisonniers armés, assoiffés de vengeance. Junos, trop content de retrouver une épée, laissa libre cours à sa fougue. Peu de bonnets-rouges eurent le temps de répliquer avant que le bataillon entier envahisse le camp. Pourtant en surnombre, les gobelins n’offrirent que peu de résistance et plusieurs d’entre eux se sauvèrent dans les bois. Après quelques minutes de combat, les hommes crièrent victoire.

Une fois que Béorf et Junos se furent longuement étreints et que les deux garçons eurent présenté Hulot et les Vikings à leur vieil ami, il fut convenu que le bataillon raccompagnerait les détenus le plus rapidement possible chez le roi Harald. Plusieurs d’entre eux avaient un urgent besoin de soins, de nourriture, mais surtout de chaleur. On fabriqua des civières de fortune. Puis le groupe, Hulot en tête, sortit du campement Amos et Béorf annoncèrent alors qu’ils avaient décidé de continuer seuls.

— Venez avec nous, les supplia Junos. C’est dangereux et je ne veux pas vous perdre encore !

— Je n’ai pas le choix, répondit Amos. Il me faut atteindre la montagne de Ramusberget le plus tôt possible. Dis-moi, Junos, ma mère allait-elle bien la dernière fois que tu l’as vue ?

— Oui, assura le chevalier. Mais elle était très inquiète pour toi et pour ton père. Elle ne cessait de parler de vous, de dire qu’elle espérait qu’il ne vous était rien arrivé de mauvais. Pauvre Frilla, lorsqu’elle va apprendre la mort d’Urban, ça va être un terrible choc.

— Si je finis par la retrouver, soupira Amos.

— Ne perds pas confiance en toi, jeune homme ! Tu m’as bien retrouvé, moi ! Alors, rien n’est impossible. Fais bien attention à toi ! Nous nous reverrons bientôt !

— À bientôt, Junos ! dirent en chœur les garçons.

Amos et Béorf chaussèrent leurs skis et partirent vers le nord. Ils avaient une copie de la carte réalisée par Geser la Fouine. Béorf estima que, d’ici cinq jours, ils seraient arrivés à la montagne.

Le crépuscule des Dieux
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